Quatrième saison de Games for Change Europe, un séminaire qui interroge les relations entre le monde de l’éducation et celui des jeux vidéos, de la réalité virtuelle, mixte et augmentée. En 2019, il est placé sous le thème « Esprit ludique, esprit critique ».
Comment les jeux vidéos peuvent-ils contribuer à développer un meilleur sens critique et une meilleure compréhension du monde ?
Un événement qui propose aux participants de ces deux univers, des conférences et des ateliers qui se répondent dans le but d’essaimer des informations, des ressources, des idées et des rencontres.
L’éditeur de jeux vidéo Ubisoft accueillait la première journée à son siège parisien dans un grand espace ouvert. Un cadre convivial pour s’immerger rapidement dans la thématique.
Les groupes de travail mélangent les différentes communautés du jeu, de l’enseignement, de la recherche et du numérique éducatif. La réflexion se construit alors collaborativement en mode design thinking. Deux axes sont déployés : la construction d’outils d’analyse et l’intégration aux jeux d’une dimension éducative. Les temps de pause et de mise en commun permettent de tisser des liens entre les personnes et les projets. Les participants sont divisés en ateliers.
Le premier atelier avait pour objectif de développer des grilles de lecture. Les jeux et thèmes envisagés concernaient aussi bien l’aspect philosophique comme Undertale, qu’environnemental sur l’éducation au développement durable avec Simcity, Civilization, Compost Challenge ou encore les clichés et stéréotypes. Alors comment développer le regard critique des joueurs sur ces thématiques ? L’action de sensibilisation peut aussi bien être menée en classe et concerner les pratiques à la maison. Il est possible d’utiliser les bandes-annonces, les scénarios ou encore le gameplay ou le storytelling. Un projet de sensibilisation à la citoyenneté peut être mené au niveau de l’établissement, de la classe ou encore de la vie scolaire avec les éco-délégués. Il peut prendre la forme d’ateliers ou encore d’hackathon. Afin d’impliquer pleinement, les élèves peuvent choisir le jeu qui servira de support à l’analyse. Le scénario proposé par les participants était de partir de la question « Dans quel jeu pourrais-tu vivre ? » (au sens de la viabilité environnementale de la survie) pour amener l’élève à utiliser la grille et rendre ainsi visible les différentes composantes du jeu et leurs enjeux.
Le second atelier a choisi le thème de la mixité pour aborder le développement de l’esprit critique. L’idée est d’utiliser la réalité virtuelle pour proposer aux élèves une expérience immersive qui consiste à relever des défis, à travers le temps, en prenant l’identité de différents personnages. Il s’agit de découvrir comment la situation est vécue mais aussi comment le personnage est perçu en fonction de la culture et du genre. Les items de validité du jeu pour qu’il fonctionne avec des élèves sont inspirés des critères de la motivation de Yu-Kai Chou. Il s’agit donc de lier une exigence de contenu en lien avec les programmes scolaires avec une forme attractive qui motive l’élève au-delà du court-terme.
Le lendemain, c’est au tour de la célèbre école de l’image des Gobelins de nous accueillir pour une succession de courtes conférences faisant appel à des experts de leur domaine. Les champs évoqués lors de ces journées sont particulièrement larges et toujours passionnants, de la recherche au monde de l’éducation, du numérique à celui de la presse, du game design à la formation.
Tous les intervenants et toutes les rencontres sont riches de pistes à exploiter. Pour jouer, il faut apprendre, ne serait-ce que pour s’approprier les règles du jeu et plus largement du vivre ensemble. Ce levier est bien exploité dans le premier degré mais beaucoup moins au sein des autres niveaux. Or, la société propose un environnement numérique omniprésent qu’il nous faut, en tant que citoyen, savoir décrypter. Dès lors, les jeux recèlent de fortes capacités d’apprentissage. Pour les éducateur,s c’est un moyen d’apporter des connaissances mais aussi de mieux faire comprendre notre monde en développant l’esprit critique. Pour les concepteurs de jeux vidéos, c’est une chance de transmettre des valeurs et de lier de nouvelles relations avec leur public et la société dans son ensemble.
Les pistes pour les enseignants et formateurs sont très variées car on peut apprendre sur, autour et avec les jeux vidéo. On y trouve : les sources de narration, l’objet culturel, l’esprit critique, la presse des jeux vidéos, les métiers, l’usage responsable et raisonné, la production, la sociabilité, mais aussi comment décrypter un paysage, comparer des informations à dimension historique, les personnages et représentations, la bande-annonce, les normes PEGI, l’intertextualité, la programmation, les valeurs, lutter contre les discriminations, décoder les contenus politiques, écrire des critiques, découpages et droits, notions de point de vue et d’échec, la contextualisation, les langages, la liberté de choix, la responsabilité, la moralité, les communautés…
Les principaux points de vigilance pour l’enseignant, outre les questions techniques de matériel et de connexion, restent de partir du programme et d’objectifs pédagogiques et de ne pas concevoir de séance par le jeu sans prévoir un retour explicite sur l’activité. Enfin, concernant la question du temps d’écran, l’école a vocation à une utilisation raisonnée, pédagogique et encadrée.
- La première mini conférence concerne le rôle des games designers dans le développement de nouvelles compétences chez le joueur. Olivier Palmieri, game Director chez Ubisoft Montréal, propose plusieurs pistes et outils. Il y a d’abord la possibilité de se servir des jeux vidéo célèbres, comme les lapins crétins, pour induire des apprentissages, comme c’est le cas de Rabbids-coding qui propose d’initier les plus jeunes, au codage et à la programmation.
- La seconde est la plateforme l’odyssé des créateurs de jeu qui offre une formation gratuite en ligne pour créer des jeux vidéo. Enfin il souligne que la technologie XR offre un véritable champ d’innovation notamment dans tout ce qui concerne les services d’accueil.
Myryam Houali, la Co-fondatrice d’Accidental queens s’est exprimée sur l’impact direct et indirect des jeux. Elle a présenté des jeux inclusifs et engagés, accessibles sur les appareils mobiles. “A normal lost phone” portant sur la perte d’un téléphone portable propose de mener une enquête pour évoquer l’identité de genre et les thématiques LGBT. “Another lost phone : laura’s story” traite du harcèlement. “ Alt frequencies” propose d’écouter la radio pour traiter de la transmission des informations et des effets de leur décontextualisation. Les applications sont testées par des associations engagées ayant pour objectif de développer la tolérance. Ces jeux peuvent être utilisés en classe avec un accompagnement adapté. Ils visent à lutter contre les discriminations et contre les violences.
Esteban Giner, doctorant chercheur au Centre de recherches sur les médiations, cherche à définir si l’esprit critique des joueurs et joueuses est une simple question de profils. Pour cela, il a étudié les questions de typologie des joueurs et des compétences qui amènent à décoder et à se réapproprier le sens d’un jeu. Il utilise pour cela notamment la taxonomie des joueurs de Bartle. Ses conclusions tendent à montrer que l’esprit critique ne dépend pas du profil du joueur. D’après lui, Il n’y a donc pas besoin de posséder des compétences en amont. Dès lors, tout le monde doit pouvoir développer un propos avec un accompagnement.
Vinciane Zabban, ci-contre, maître de conférence au Laboratoire EXPERICE précise que Le jeu présente les caractéristiques d’une pratique culturelle : il varie avec l’âge, le genre, les milieux sociaux. Olivier Mauco, chercheur en science politique et game Studies, décortique minutieusement le contenu politique en illustrant ses propos à partir du jeu GTA. Erwan Higuinen, journaliste spécialisé dans les jeux vidéo s’interroge sur le contenu attendu d’une critique et l’intérêt des tests techniques pour mieux se situer dans une approche sensible, multiple et personnalisée.
Alain Thillay, Chef du bureau du soutien à l’innovation numérique et à la recherche appliquée au ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse, lie le potentiel pédagogique des jeux avec la démarche d’investigation de type essai-erreur. L’expérience collaborative introduite souvent en mode découverte doit ensuite être explicitée dans un temps d’accompagnement qui associe les éléments de langage avec le développement de l’esprit critique. La liberté de l’enseignant doit permettre un apprentissage interactif.
Cette intervention est suivie d’une table ronde dont le sujet est « Comment apprendre l’échec aux élèves avec le jeu vidéo ? ». Le jeu pourrait être une piste pour proposer d’autres modèles d’évaluation notamment l’autoévaluation et l’évaluation entre pairs afin de passer du modèle de l’échec à celui de la progression. Il a ensuite été question de liberté de choix et de la nécessité ou non de tout réussir pour avancer. Les grilles ou outils réalisés dans le cadre des ateliers pour permettre aux enseignants et aux élèves d’apprendre à décoder le mode complexe des jeux seront mis à disposition prochainement.
L’après-midi a débuté par la présentation de Guillaume Bonzoms, DAN adjoint de notre académie, qui a exposé des pistes pour se saisir du jeu vidéo comme ressource pédagogique. Il distingue l’usage des jeux vidéo en tant que ressource et les jeux sérieux en tant que modalité pédagogique. Il a présenté un exemple d’activité issue du site Eduscol « Apprendre avec le jeu numérique » ainsi que le jeu sérieux « l’isoloir » portant sur le vote.
Les compétences transversales peuvent être investies par exemple à partir du parcours citoyen, du parcours santé ou encore des compétences numériques. Toutes les disciplines sont concernées par ces compétences transversales et plus particulièrement l’ EMC, l’Histoire-Géographie et les Sciences.
Selon Guillaume Bonzoms, les escape games sont propices à susciter curiosité, motivation, engagement actif, consolidation des apprentissages tout en favorisant la collaboration. Ils sont alignés en neurosciences sur les quatre piliers de l’apprentissage présentés par Stanislas Dehaene. Quelques exemples de jeux d’évasion sont proposés, dont « Connais-moi échappe-toi ! » sur la question des traces et données personnelles et « Marianne a disparu » pour les plus jeunes.
Ensuite, Natacha Mantegazza, professeure agrégée de physique-chimie, signale l’existence d’une fracture ludique, à savoir que certains élèves ne possèdent pas de grille de lecture et que, par conséquent, ils ne rentrent pas dans les activités. Elle conseille le jeu Transformer la matière et la version mirage make facilitant la lecture du texte par les dyslexiques ainsi que la platerforme leaning apps permettant deconcevoir des jeux.
Maxence Voleau, ci-contre, lead game designer à Amplitude Studios, montre les efforts et les difficultés rencontrées pour intégrer, au sein de la conception d’un jeu de stratégie, les préoccupations citoyennes. Il dessine des pistes comme celle de limiter les ressources disponibles ou encore de ne pas augmenter les besoins. Pourtant, creuser de nouveaux types de stratégies n’est pas simple et se heurte à la survalorisation de la guerre. Il est cependant possible de casser certains codes, comme par exemple en faisant jouer une succession de cultures. Alexia Lang, game designer chez Ubisoft questionne les stéréotypes et soulève le risque de pudibonderie. D’après elle, les valeurs féminines sont à sauvegarder car elles sont un refuge potentiel au sein d’un monde violent. Le féminin et le masculin seraient à conserver avec la possibilité d’ajouter de nouveaux modèles. Pierre-Alban Ferrer, game designer diplômé de l’école Polytechnique, témoigne d’un travail en collaboration avec les chercheurs pour éduquer par le jeu à la physique des particules.
En conclusion, le jeu vidéo est un outil aux mêmes titres que les autres arts comme le cinéma ; il peut dès lors activement participer aux quatre parcours éducatifs : avenir, citoyen, santé, artistique et culturel.