Dossier
Communs numériques
Communs de la connaissance
Pour commencer, la notion de « Communs » est parfois considérée comme difficile d’approche, car elle embrasse un nombre très diversifié de champs et d’objets : communs naturels, communs numériques, communs urbains, etc.
Il est néanmoins possible de dégager une logique d’ensemble à condition de prendre du recul et de replacer la question des Communs dans une histoire longue. Après avoir subi une éclipse sévère depuis le début du 19ème siècle, les Communs font aujourd’hui l’objet d’une redécouverte académique, suite aux travaux de la chercheuse américaine Elinor Ostrom, lauréate du prix Nobel d’Economie en 2009. Ses analyses sur les « Common pool Resources » ont contribué à ouvrir de nouvelles voies pour penser les Communs, (…).
Vers la fin de sa vie, Ostrom a également étendu son champ d’analyse en passant des Communs naturels aux Communs de la connaissance. Dans l’ouvrage collectif Understanding Knowledge as a Commons paru en 2006, elle applique la notion de «Common Pool Resource» à des objets immatériels, comme les logiciels, les connaissances scientifiques ou les œuvres artistiques et littéraires.
Au final, les biens communs, ou tout simplement communs, sont des ressources, gérées collectivement par une communauté, celle-ci établit des règles et une gouvernance dans le but de préserver et pérenniser cette ressource.
Qu’est-ce qu’un commun ?
Plutôt que de « biens communs », nous préférons parler de « communs » pour éviter la confusion induite par la notion de « bien » et de propriété qui lui est souvent attachée. En effet, ils ne sont pas seulement des biens matériels, ni même immatériels, qu’il faudrait gérer et dont l’essence serait fixe et immuable.
Dans son ouvrage, Elinor Ostrom met en évidence un ensemble de principes à respecter par la communauté pour y parvenir. Ils définissent les conditions de mise en place d’une gouvernance ouverte :
- des groupes aux frontières définies ;
- des règles régissant l’usage des biens collectifs qui répondent aux spécificités et besoins locaux ;
- la capacité des individus concernés à les modifier ;
- le respect de ces règles par les autorités extérieures ;
- le contrôle du respect des règles par la communauté qui dispose d’un système de sanctions graduées ;
- l’accès à des mécanismes de résolution des conflits peu coûteux ;
- la résolution des conflits et activités de gouvernance organisées en strates différentes et imbriquées.
À l’opposé des théories abstraites et uniformes sur le comportement d’homo œconomicus, les 8 principes d’Elinor Ostrom mettent en valeur la créativité et la résilience des groupes humains pour se doter de systèmes de gouvernance de leurs biens communs.
D’après https://www.colibris-outilslibres.org/histoire-meconnue-des-communs/
Les communs numériques
Les biens communs numériques correspondent à l’ensemble des ressources numériques produites et gérées par une communauté. Comme les autres biens communs informationnels, ils se caractérisent par leur non-rivalité : leur utilisation n’est pas exclusive et elle ne leur inflige aucune détérioration. En raison de leur caractère facilement duplicable, les biens numériques sont, par nature, propres à « une gestion partagée et collective »1.
De nombreux acteurs défendent le mode de production et de gouvernance dont ils relèvent, comme la Free Software Foundation œuvrant en faveur des logiciels libres ou la fondation Wikimédia par ses dispositifs collaboratifs centralisant et indexant la connaissance. Inversement, de nouveaux types d’ enclosures entravent la création et la circulation de ces biens numériques, notamment par une privatisation excessive ou copyfraud. De nouveaux régimes juridiques sont élaborés pour protéger ces biens communs (la licence GNU, le mouvement creative commons…).
Pensée parfois comme une alternative au capitalisme, l’idée des biens communs numériques n’interdit pas des modèles économiques hybrides. L’open source permet ainsi une maintenance collective et gratuite d’un logiciel, mais n’exclut pas aussi l’existence de services de développeurs monnayables. Leur ambivalence vaut également au plan du statut administratif : reposant sur une régulation autonome, ils n’empêchent pas des partenariats avec l’État ou avec des collectivités locales.
D’après https://fr.wikipedia.org/wiki/Biens_communs_num%C3%A9riques
Quels constats pour l’éducation ?
- Il existe un impact évident des technologies numériques sur la baisse des coûts de la connaissance. En effet, une fois produite, elle ne coûte quasiment plus rien à produire et on peut la diffuser également à peu de frais.
- Les difficultés ou restrictions d’accès à la connaissance ont toujours existé, ne serait-ce qu’avec les inégalités sociales ou les territoires. L’utilisation de certains moyens techniques, en permettant de capturer numériquement la connaissance, la rendent alors “propriété exclusive d’un détenteur” et développent aussi de nouvelles formes d’enclosure.
- Le rôle crucial joué par l’École, les bibliothèques, les instituts scientifiques dans la diffusion du savoir et la Recherche, institutions par ailleurs “affaiblies ou menacées” par “l’extension de la logique de la propriété intellectuelle, peu favorable à la créativité et la diffusion des œuvres et des idées”.
- La réaction aux nouvelles tentatives d’enclosures se traduit par une importante mobilisation des citoyens qui se rassemblent au sein de mouvements et d’organisations.
Selon Elinor Ostrom et Charlotte Hess dans Understanding Knowledge as a Commons“, “La centralisation de l’information sur des sites privés ou publics laisse craindre la disparition des ressources d’informations. Mais surtout la création d’enclosures par le marché ou le gouvernement peut entraîner un verrouillage de l’accès à la connaissance et un assèchement des flux d’information.
L’enjeu est donc de savoir comment combiner des systèmes de règles et de normes propres à ces nouveaux communs pour garantir un accès général à la connaissance qui renforce les capacités des individus tout en assurant reconnaissance et soutien pour ceux qui créent la connaissance sous ses formes les plus variées”.
Les communs de la connaissance
Le concept de bien commun informationnel a été initialement introduit par le chercheur et informaticien Philippe Aigrain. Dans Cause commune, celui-ci propose d’appliquer la notion de biens communs, développée notamment par Elinor Ostrom, à la sphère des biens intellectuels : « en parallèle avec la folie de la propriété, un nouveau continent apparaît : celui des biens communs informationnels, des créations qui appartiennent à tous parce qu’elles n’appartiennent à personne »1.
Philippe Aigrain, Cause commune : l’information entre bien commun et propriété, Fayard, , 283 p.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Biens_communs_informationnels#Aigrain2005
Les logiciels libres
D’après Richard Stallman, les termes « logiciel libre » et « open source » recouvrent à peu près la même gamme de logiciels. Cependant, ils disent des choses profondément différentes sur ces logiciels, car ils se basent sur des valeurs différentes. (…) Les deux expressions décrivent à peu près la même catégorie de logiciel, mais elles représentent des points de vue basés sur des valeurs fondamentalement différentes.
- Le mouvement du logiciel libre fait campagne pour la liberté des utilisateurs de l’informatique ; c’est un mouvement qui lutte pour la liberté et la justice.
- L’idéologie open source, par contre, met surtout l’accent sur les avantages pratiques et ne fait pas campagne pour des principes. C’est pourquoi nous ne sommes pas d’accord avec l’open source et n’utilisons pas ce terme.
Les formats ouverts
Les logiciels libres ont, dans leur grande majorité, tendance à respecter les formats standards ouverts, ce qui favorise l’interopérabilité. Toutefois, la préférence pour les formats ouverts, si elle est effectivement constatée, n’est pas un élément de la définition du logiciel libre.
L’utilisation de formats ouverts dont l’ensemble des spécifications techniques sont connues, garantit l’accès aux documents numériques archivés.
On entend par « format ouvert » un format de données qui n’est pas dépendant d’un éditeur ou d’un logiciel ; les spécifications d’un tel format sont publiques, et librement implémentables par différents éditeurs de logiciels. Un format ouvert peut être :
- Un format issu d’une organisation indépendante
- Un format propriétaire dont les spécifications ont été rendues publiques
- Un format développé par la communauté du logiciel libre
Fonctionnalité | Formats fermés | Formats ouverts |
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Texte |
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Tableur |
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Présentation |
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Les ressources éducatives libres
En 2012, lors du Forum mondial des REL, a été adopté officiellement le terme ressources éducatives libres (REL) pour désigner “des matériaux d’enseignement, d’apprentissage ou de recherche appartenant au domaine public, ou publiés avec une licence de propriété intellectuelle permettant leur utilisation, adaptation et distribution à titre gratuit.”
Elles ont été définies comme :
- Ressources d’apprentissage : logiciel de cours, modules de contenus, objets d’étude, soutien aux étudiants et outils d’évaluation, et comme communautés d’étude en ligne ;
- Ressources de soutien pour les enseignants : outils pour les enseignants et matériels de support pour leur permettre de créer, d’adapter, et d’utiliser les REL, ainsi que comme matériaux de formation et autres outils d’enseignement pour enseignants ;
- Ressources pour assurer la qualité de l’éducation et des pratiques éducatives.
- L’expression libre accès, généralement associée à la publication savante, n’inclut pas le droit de modifier (sauf exception). Les ressources en libres accès ne sont pas nécessairement des REL.
- Sauf exception, les ressources libres de droits ne sont pas des REL. Chaque créateur doit normalement acheter une licence qui permet l’utilisation sous certains termes, qui n’offrent généralement pas les permissions des 5R. Lisez bien les termes !
Les 5R sont un ensemble de permissions qui déterminent le caractère libre d’une ressource décrit par David Wiley (2007, 2014) dans une série de billets de blogue et ensuite largement adoptés par la communauté des créateurs et utilisateurs de REL
L’appréhension des ressources éducatives sous l’angle de la notion des « communs de la connaissance » inviterait à penser autrement les modes de circulation et de production des ressources, en particulier dans le cadre des collectifs enseignants producteurs de ressources éducatives libres, comme Sésamath, l’ APSES ou encore AbulÉdu-fr.
Pour aller plus loin
- Communs de la connaissance et enclosures. Réponse à Allan Greer par Lionel Maurel, le 29 septembre 2015.
- En communs : une introduction aux communs de la connaissance par Hervé Le Crosnier, en 2015.
- Vers une société apprenante, Rapport sur la recherche et développement de l’éducation tout au long de la vie. Paris : Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement et de la recherche. Becchetti-Bizot Catherine, Houzel Guillaume et Taddei Jean-François (2017).
- Les Communs numériques sont-il condamnés à devenir des « Communs du capital » ? par Lionel Maurel, le 24 décembre 2018.
- À l’école du partage. Les communs dans l’enseignement par Marion Carbillet & Hélène Mulot, C&F édictions, en avril 2019.
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Page mise à jour le 28/03/2023.