Dossier

Humanités
numériques

« Pour esquisser une introduction aux humanités numériques, il faudrait fournir des éléments d’histoire, un aperçu de la théorie, ainsi qu’une illustration de la pratique : programme ambitieux, qui demanderait un livre. »

C’est par ces mots que l’on entre dans l’article d’Aurélien Berra intitulé « Faire des humanités numériques » publié dans Read/Write Book 2 : Une introduction aux humanités numériques. Le lecteur est ainsi confronté d’emblée à la richesse, à la complexité et au foisonnement du concept des humanités numériques.

Aussi cet article n’aura-t-il pas pour visée d’épuiser de manière exhaustive la notion, mais simplement d’en présenter une rapide synthèse s’appuyant sur des écrits et ressources répertoriés et accessibles dans la collection « Humanités et études numériques » proposée dans l’espace Zotero Eduscol.

Essai de définition

« Au cœur du débat sur les humanités numériques, il y a une question récurrente, et même permanente : celle de la définition. » (Aurélien Berra)

Si la définition des humanités numériques ne va pas de soi et constitue un sujet qui implique des questionnements, cela est sans doute lié à l’association de termes antinomiques, utilisée pour désigner ce concept : « humanités » et « numérique ». C’est ce que soulignent Marin Dacos et Pierre Mounier dès l’introduction du rapport Humanités numériques – Etat des lieux et positionnement de la recherche française dans le contexte international qu’ils ont rédigé en 2014 :

« « Digital humanities », « humanités numériques » en français. Le terme se présente comme un oxymore […] : que peut-on imaginer en effet de plus éloigné que, d’un côté, une antique tradition, celle des arts et des lettres, de l’érudition et du monument, et, de l’autre, l’environnement technologique des ordinateurs et du réseau ? Humanité et numérique. Il serait facile d’énumérer tout ce qui semble les opposer : le livre contre l’écran ; l’héritage contre l’innovation ; l’interprétation contre le calcul ; le temps long contre l’instantané. »

Et Marin Dacos et Pierre Mounier de dissoudre immédiatement cet apparent malentendu sémantique :

« En la matière pourtant, les apparences sont trompeuses. Car s’il est vrai que « le numérique » est de nature technologique, et que son développement a partie liée avec le développement scientifique, il n’en reste pas moins que le dialogue des humanités avec l’ordinateur est presque aussi ancien que ce dernier, et s’est exprimé de manière riche et variée au cours des décennies. Depuis le Corpus Thomisticum de Roberto Busa jusqu’à la publication en ligne de la correspondance de Vincent Van Gogh, en passant par les développements de l’histoire quantitative dans les années 1970 ou des systèmes d’information géographiques dans les années 1990, les promesses de la lexicométrie ou encore la modélisation en trois dimensions d’objets archéologiques, il n’est pas une discipline des humanités qui n’ait tenté de mobiliser les moyens de l’informatique pour faire avancer l’état des connaissances. »

Ainsi, les humanités ont donc bien à voir avec le numérique, qui constitue désormais notre environnement de travail, mais qui influe, irrigue et sert de cadre aussi à notre vie de tous les jours, qu’elle soit professionnelle ou sociale. C’est là l’une des caractéristiques du numérique qui « se définit à partir de son caractère pervasif » (Introduction à la question des humanités numériques à l’Ecole, Atelier Canopé du Val-de-Marne, 9 décembre 2016). Les humanités, comme tous les autres domaines de l’activité humaine, sont donc devenues numériques.

Mais alors, comment définir et circonscrire le champ des humanités numériques ?

Le Manifeste des digital humanities rédigé en 2010 lors du THAT Camp de Paris, publié en 2011, mis à jour en 2012, et cosigné par plus de 250 chercheurs et 10 institutions, établit la définition suivante :

« 1. Le tournant numérique pris par la société modifie et interroge les conditions de production et de diffusion des savoirs.
2. Pour nous, les digital humanities concernent l’ensemble des Sciences humaines et sociales, des Arts et des Lettres. Les digital humanities ne font pas table rase du passé. Elles s’appuient, au contraire, sur l’ensemble des paradigmes, savoir-faire et connaissances propres à ces disciplines, tout en mobilisant les outils et les perspectives singulières du champ du numérique.
3. Les digital humanities désignent une transdiscipline, porteuse des méthodes, des dispositifs et des perspectives heuristiques liés au numérique dans le domaine des Sciences humaines et sociales. »

C’est cette même définition que reprend Elie Allouche, chef de projet à la Direction du Numérique Educatif, dans la Lettre d’information Edu_Num Thématique N°04 de juin 2017 : Humanités et études numériques : « On peut présenter les humanités numériques/digital humanities telles qu’elles s’incarnent notamment dans le manifeste de 2010, à la fois comme « transdiscipline » et comme « communauté de pratique », « forum interdisciplinaire – interprofessionnel et multilingue – ayant pour objectifs le progrès de la connaissance (au-delà de la seule sphère académique) » et prônant « l’intégration de la culture numérique dans la définition de la culture générale du XXIe siècle ».

En bref, ce sont les mots d’Elie Allouche que nous reprendrons pour, de manière synthétique, définir les humanités numériques comme « un espace d’échange interdisciplinaire fondé sur les valeurs humanistes, ayant l’éducation, la culture et la diffusion des savoirs pour finalités et le numérique comme environnement et langage communs » ; ou, plus simplement, comme « un effort/projet collectif tourné vers une intelligence du numérique mise au service des savoirs et de la culture », ou bien encore comme un « croisement entre savoirs, numériques et fondements humanistes.

En quoi le champ des humanités numériques
intéresse-t-il les enseignants ?

Tout simplement parce que le tournant des humanités numériques change les façons d’enseigner et d’apprendre.

Parce que les humanités numériques ouvrent « un nouveau champ de réflexion et d’action pour tous les acteurs de la communauté éducative », puisque « par définition, elles invitent à aborder le numérique comme milieu de construction, d’organisation et de diffusion des savoirs et à en faire un objet d’étude » (Jean-Michel Le Baut, « A la recherche des humanités numériques », Café pédagogique).

Parce que « cette transdiscipline en train d’advenir nous lance plusieurs défis : faire de l’Ecole un laboratoire, d’écriture et de recherche, favoriser la circulation entre les savoirs, approfondir le dialogue avec le supérieur, bâtir des lieux d’incubation, intégrer les humanités numériques à l’offre de formation » (Jean-Michel Le Baut, « Les humanités numériques : Un nouvel enjeu pour l’Ecole ? », Café pédagogique).

Ainsi, le champ des humanités numériques, bien loin d’être une simple question de mode, concerne les enseignants parce qu’il interroge notre pratique et nos gestes professionnels : comment se construit, se transmet, se diffuse le savoir ? telle est la question qui se trouve au coeur de notre métier et au centre également du questionnement autour duquel se structure le concept des humanités numériques.

Mais, d’un point de vue pédagogique, comment peut-on mettre en application les principes des humanités numériques pour renouveler notre pratique professionnelle ?

Elie Allouche, dans un article intitulé « Numérique et éducation », propose trois types d’action :

« Les humanités numériques à l’École peuvent se traduire par plusieurs types d’action mobilisant l’ensemble des équipes éducatives, notamment :
– une veille continue sur la façon dont les processus de construction, de représentation et de diffusion des savoirs sont augmentés et/ou bouleversés par les mutations technologiques contemporaines et la « mise en données » des sciences ;
– à partir des potentialités du numérique, l’introduction de modalités d’enseignement et d’apprentissage valorisant les diverses formes de travail collectif (contributif, collaboratif, utilisant notamment les réseaux sociaux, les carnets de recherche et les outils d’annotation) dans une démarche active, productive, critique, réflexive et citoyenne ;
– un apprentissage par la recherche, la controverse, la construction de projets permettant aux élèves et aux équipes éducatives de mobiliser, outre les compétences collectives mentionnées plus haut, des compétences techniques tournées vers les métiers d’avenir (programmation, robotique, modélisation, réalité augmentée, etc). »

Ainsi, travail collectif, documentation, esprit critique, recherche, mise en pratique active et réflexive, interdisciplinarité constituent les mots-clés autour desquels le champ des humanités numériques nous invite à reconsidérer et à examiner notre pratique professionnelle. Changer les méthodes de transmission du savoir et inventer, avec nos élèves, de nouvelles manières d’apprendre, de nouvelles manières de diffuser et de partager ce que l’on a appris, c’est, finalement, tendre vers un renouveau pédagogique qui irrigue toutes les disciplines.

C’est avec les mots de Jean-Michel Le Baut que nous conclurons : « les humanités numériques ouv

rent bien des horizons pour repenser notre façon de nous relier au savoir comme de « faire société » (Luc Dall’Armellina). Elles constituent pour chaque enseignant•e un beau défi : une invitation à reconfigurer sa posture et ses gestes professionnels, à élargir le champ même de la connaissance où accompagner les élèves dans leur cheminement. » (« A la recherche des humanités numériques », Café pédagogique)

 

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