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Ludification

La ludification, également appelée “gamification”, consiste à intégrer des mécanismes et des éléments de jeu dans des contextes non ludiques, tels que l’éducation. L’objectif est de motiver les apprenants en utilisant des éléments de jeu tels que les défis, les récompenses et les compétitions, mais aussi la coopération, la simulation et la prise d’initiative pour rendre l’apprentissage plus attractif et significatif.

Le contexte de l’évolution numérique dans l’éducation a permis de développer des nouveaux usages de la ludification tant en présentiel qu’en distanciel.

Les séquences ludifiées et les jeux pédagogiques (dont les escape games sont un parfait exemple) sont des méthodes éprouvées et étayées scientifiquement. Leurs déclinaisons sont multiples et en constante évolution, actionnant des leviers de plus en plus variés, comme l’engagement, la motivation mais aussi l’immersion et la prise de décision. Faisons le point sur cette modalité pédagogique.

1. Un bref historique de la notion de « jeu »

Étymologiquement, le jeu vient du latin Jocus, qui signifie plaisanterie, badinage, et le Larousse définit le jeu comme une « activité non imposée, à laquelle on s’adonne pour se divertir et en tirer un plaisir ».

En 1938, Johan Huizinga est le premier à travailler sur la définition du « Jeu ». Il considère le que le jeu est un phénomène culturel majeur qui joue un rôle essentiel dans le développement des civilisations humaines.

Tout acte humain est « un peu jeu » « la culture naît sous forme de jeu, la culture, à l’origine, est joué » (Huizinga, 1938). 

En 1967, Roger Callois étudie cette notion de Jeu dans son ouvrage « Des jeux et des hommes » dans lequel il oppose jeu (non sérieux) et travail (sérieux). Pour lui, le jeu est « une occupation isolée du reste de l’existence, et accomplie en général dans des limites précises de temps et de lieu ».

Enfin, Jacques Henriot en 1969, identifie 3 niveaux à la notion de jeu :

  • le jeu comme structure
  • l’acte de jouer
  • le jouant (attitude mentale qui donne du sens au jeu)

Depuis, de nombreux travaux ont enrichi cette nomenclature et proposent de séparer le ludus (les règles) de la paideia (le jeu libre), le jeu et l’expérience de jeu telle qu’elle est vécue, mais cet article n’a pas vocation à aller aussi loin dans l’analyse.

2. Jeu et pédagogie

Dans l’Antiquité, de nombreux jeux font leur apparition, dont une expérience sociétale originale relatée par Hérodote.

Famine en Lydie

Hérodote nous raconte que les Lydiens, une civilisation indo-européenne de l’Antiquité, furent à l’origine des premiers jeux.

On apprend que les dés, les osselets et les jeux de balle ont été créés, non par loisir, mais pour survivre à une terrible famine :
toute la Lydie fut affligée d’une grande famine, que les Lydiens supportèrent quelque temps avec patience. Mais voyant que le mal ne cessait pas, ils y cherchèrent remède et chacun en imagina à sa manière. C’est à cette occasion qu’ils inventèrent les dés, les osselets, la balle et toutes les autres formes de jeux, excepté celui des jetons, dont ils ne s’attribuent pas la découverte. Et pour tromper la faim qui les pressait, voici l’usage qu’ils firent de ces inventions :

On jouait alternativement pendant un jour entier, afin de se distraire du besoin de manger ; et le jour suivant, on mangeait, au lieu de jouer.

Le jeu permit aux Lydiens de subsister ainsi durant dix-huit ans ; puis la situation agricole ne s’améliorant pas, le Roi divisa tous les Lydiens en deux classes, et les fit tirer au sort : l’une pour rester, l’autre pour quitter le pays. Celle que le sort destinait à rester, eut pour chef le Roi même, et la classe des émigrants eut son fils, nommé Tyrrhénus. Les Lydiens, que le sort bannissait de leur patrie, allèrent d’abord à Smyrne, où ils construisirent des vaisseaux, les chargèrent de tous les meubles et instruments utiles, et s’embarquèrent pour aller chercher des vivres et d’autres terres. Après avoir côtoyé différents pays, ils abordèrent en Ombrie, où ils se bâtirent des villes, qu’ils habitent toujours à présent… (Larcher et al., 1786)

Dès la Renaissance, les humanistes associent le jeu et les apprentissages. Par exemple, Gargantua, le héros de Rabelais, joue aux cartes pour apprendre les mathématiques (1534). Il y a déjà une prise de conscience que les jeux sont nécessaires dans l’éducation et pour le développement de l’enfant.

Aux XIXᵉ et XXᵉ siècles, les apports scientifiques confirment la place du jeu dans le développement de l’enfant avec les travaux de Vygotski (1966) qui montre que le jeu permet la création de la Zone Proximale de Développement (ZPD).

Piaget (1945) distingue 3 catégories de jeux par âge :

  • jeu d’exercice (0 à 2 ans) : développement sensorimoteur
  • jeu symbolique (dès la fin de la 2ᵉ année) : faire « comme si », utilise un objet qui devient le symbole d’autre chose
  • jeu de règles (de 4 à 11 ans) : l’aspect social des jeux basé sur le jeu symbolique + la coopération

Pour Piaget, en jouant, l’enfant assimile le monde extérieur par imitation, ainsi il développe des représentations, manipule des signes et des outils, et développe son intelligence.

Gilles Brougère (1995, Jeux et éducation) pointe 3 relations entre le jeu et les apprentissages :

  • jeu récréation – la pratique du jeu permet d’être efficace à l’école
  • jeu scolaire – le jeu comme stratégie pédagogique
  • jeu d’exploration de personnalité – regarder l’enfant jouer pour adapter sa pédagogie

Eric Sanchez (2006), identifie 4 points positifs à l’utilisation du jeu dans un contexte éducatif :

  • la motivation
  • le contenu pertinent et la scénarisation
  • le statut de l’erreur (développement de la réflexivité)
  • l’autonomie des élèves (choix et prises de décision)

Ce bref historique démontre que le concept de jeu et la définition qui en découle, ainsi que son utilité à des fins pédagogiques, diffère en fonction des époques et des points de vue. Le jeu opère cependant un glissement entre le statut d’activité « non sérieuse » à celui d’une expérience pertinente et porteuse de sens, de levier pour la simple motivation des apprenants à un instrument mettant en œuvre des processus cognitifs complexes. Ce changement de posture se vérifie dans la place grandissante accordée au jeu dans le système scolaire, que ce soit au premier, second degré ou dans la sphère universitaire.

3. Ludification / Gamification

Pour faire simple, la ludification c’est l’utilisation des mécaniques et des ressorts issus du jeu, dans un autre contexte que le jeu, comme une situation d’apprentissage, par exemple. Cette technique de conception peut être appliquée dans de nombreux domaines tels que, le marketing, la santé, le travail, et ce qui nous intéresse davantage : l’éducation. C’est combiner une intention pédagogique à un environnement d’apprentissage stimulant et motivant.

Si nous faisons un retour dans le passé, le « bon point » est déjà une forme de ludification, de façon plus contemporaine, ces éléments peuvent prendre la forme de badges, de tableaux de score, de barre de progression, de niveaux, de narration, de récompenses, de compétitions, d’éléments de collaboration ou encore de chronomètre (Lavoué et al., 2019).

La ludification envahit de nombreux pans de notre société : dès 1981, United Airlines proposait de cumuler des « miles » pour gagner de futurs avantages, soit un premier prototype de « programme de fidélité » porté par les points. D’une manière générale, les systèmes offrent des gratifications aux participants, comme la « speed camera lottery » expérimentée à Stockholm qui renversait le paradigme de la sécurité routière : les radars flashaient aussi les bons conducteurs qui pouvaient se voir récompensés de leur civisme.

La ludification porte également sur des enjeux sociétaux ou environnementaux, en engageant les « joueurs » à éprouver des scénarios de simulation, comme le jeu « World Without Oil », jeu de « réalité alternative », fortement immersif, proposait aux joueurs de vivre dans un monde sans pétrole pendant 32 jours, et de régulièrement faire part de leurs impressions sur un site dédié.

Les apports du numérique en pédagogie ont permis d’ouvrir davantage le champ des possibles des outils de ludification.

4. Jeu sérieux / Serious Game

La ludification se rapporte à un processus, distinct du produit final, qu’est le jeu sérieux ou l’escape game.

David Michael et Sandy Chen- (2005) définissent simplement le jeu sérieux en cette phrase :
« Games that do not have entertainment, enjoyment, or fun as their primary purpose » : tout jeu dont la finalité est autre que le simple divertissement.

Alvarez, Djaouti et Rampnoux proposent une autre définition en 2016 dans Apprendre avec les serious games :

« Un jeu sérieux comme un « dispositif, numérique ou non, dont l’intention initiale est de combiner, avec cohérence, à la fois des aspects utilitaires (« serious ») tels, de manière non exhaustive et non exclusive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu, vidéoludiques ou non (« game »). Une telle association vise une activité ou un marché s’écartant du seul divertissement ».

Serious game = scenario utilitaire + jeu (video ou autre)

5. Pourquoi ludifier ses pratiques pédagogiques ?

Il y a plusieurs avantages à l’utilisation du jeu en pédagogie. La recherche démontre que la ludification à un impact positif sur la motivation, favorise l’apprentissage par l’alternance entre essai et erreur, permet de différencier sa pédagogie, développe de l’interaction entre les élèves (favorise les situations de collaboration…), représente concrètement des notions abstraites (manipulation, simulation…), apporte du plaisir et de l’émotion dans l’acte d’apprentissage.

Quelques pistes d’utilisations pédagogiques :

  • introduire des savoirs ou des savoirs faire, par le biais d’activités ludiques abordant ces notions avant qu’elles ne soient décomposées, formalisées dans la séquence proprement dite, dans des démarches de classes inversées
  • construire des savoirs, des savoirs faire et des savoirs être, avec des jeux simulant des situations de la vie réelle et nécessitant de mobiliser toutes ces ressources, dans des démarches de projet
  • consolider des acquis, le jeu éprouvant la capacité de l’élève à mettre en œuvre les éléments saillants
  • évaluer des acquis, de nombreux jeux permettant de tester ces acquis en fin de séquence

6. Comment ludifier ses pratiques pédagogiques ?

Il existe une multitude de méthodes pour ludifier ses pratiques pédagogiques, la première consiste à détourner des jeux existants en introduisant ses objectifs pédagogiques, il s’agit du détournement pédagogique (par exemple, le Monopoly pour travailler les additions et la gestion de budget).

Lorsque les jeux existants s’éloignent trop des besoins pédagogiques de l’enseignant, il est possible de créer sur mesure ses propres jeux en fonctions des objectifs visées, des niveaux des élèves, de l’environnement de jeu choisi ou imposé et du contexte.

Formations DRNE

L’implication des élèves dans l’appropriation des règles d’un jeu et du jeu en général sera accentuée lors de la création de jeux par les élèves eux-mêmes. Il permet de développer des compétences transversales intéressantes comme la créativité, la gestion de projet, la collaboration etc.

Une dernière façon de ludifier ses pratiques pédagogiques est la mise à disposition de jeux via le CDI, en développant une ludothèque et/ou en mettant à disposition des jeux numériques (par EsiDOc ou ÉCLAT-BFC).

Après toute cette partie de choix et d’analyse, il faut passer à la mise en œuvre du jeu pédagogique. Elle se fait en trois phases :

  • Phase d’introduction : présentation des enjeux, des règles et mise en place du jeu dans la classe
  • Phase de jeu : la pratique proprement dite de l’activité ludique
  • Phase de débriefing : amener les élèves à rendre explicite les savoirs implicites

7. Comment analyser ou choisir un jeu sérieux pour une utilisation pédagogique ?

Damien Djaouti propose 3 critères pour analyser ou choisir un jeu :

  1. Les contenus
    Quelles connaissances ou pré-requis sont nécessaires ? Quelles compétences sont mises en œuvre dans le jeu ?
  2. L’expérience de jeu
    Quel est le scénario ? Y a-t-il des aides ? Que doit faire le joueur (manipulation de pion, exercice de dextérité…) ?
  3. Les mécanismes du jeu (le game play)
    Comment progressent les joueurs dans le jeu ?
    Quelles missions sont demandées aux joueurs ?
    Quel est le mécanisme de récompenses ?
    Quelles sont les conséquences d’un échec ?

D’autres critères sont importants, comme la fiabilité du jeu (éditeur, source du concepteur, etc.) et le degré de « serious gamisation », c’est-à-dire l’équilibre entre le jeu et le sérieux.

8. Ressources et bibliographie

Alvarez, J., Djaouti, D., & Rampnoux, O. (2016). Apprendre avec les serious game ? Canopé Editions.

Brougère, G. (1995). Jeu et éducation. Paris: L’Harmattan.

Brougère, G. (2002). Jeu et loisir comme espaces d’apprentissages informels. Education et sociétés, no 10(2), 5 20. https://doi.org/10.3917/es.010.0005

Caillois, R. (1967). Les jeux et les hommes (Gallimard). Paris.

Djaouti, D. (2016a). Serious Games pour l’éducation : utiliser, créer, faire créer ? Tréma, (44), 51 64. https://doi.org/10.4000/trema.3386

Henriot, J. (1969). Le jeu.

Huizinga, J. (1938). Homo ludens : essai sur la fonction sociale du jeu.

​Larcher P. H. Musier Jean-Baptiste Guillaume & Nyon Jean-Luc (3. : 1765-1799). (1786). Histoire d’hérodote traduite du grec avec des remarques historiques & critiques un essai sur la chronologie d’Hérodote & une table géographique ; par m. larcher … tome premier [-septième]. chez Musier : chez Nyon l’aine.

Michael, D., & Chen, S. (2005). Serious Games : Games That Educate, Train, and Inform. Cengage Learning PTR.

Piaget, J. (1932). Le jugement moral chez l’enfant.

Piaget, J. (1945). La formation du symbole chez l’enfant.

Rabelais, F. (1534). Gargantua.

Sanchez, E. (2006). Des jeux dans la classe, est-ce bien sérieux ? L’école numérique, (6).

Vygotsky, L. (1966). Le rôle du jeu dans le développement de l’enfant. Voprosy psihologii  [Problems of psychology], 12(6), 62 76.

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